Ministère de la Justice
 
 

11 septembre 2017

Séminaire : lutte contre les filières d’immigration irrégulière

Discours de Nicole BELLOUBET, garde des sceaux, ministre de la justice

Seul le prononcé fait foi

 

Mesdames et Messieurs les procureurs généraux,

Mesdames et Messieurs les procureurs de la République,

Mesdames et Messieurs,

 

La question migratoire est aujourd’hui devenue une question internationale majeure.

A l’instar d’autres pays européens, comme l’Italie ou la Grèce, la France constitue désormais le point d’arrivée de flux migratoires d’une ampleur inédite en provenance du Maghreb, de l’Afrique subsaharienne, de l’Europe de l’Est et de la Chine.

L’hexagone est également une zone de transit majeure pour les flux de migrants provenant du Moyen-Orient, d’Asie ou de la Corne de l’Afrique qui souhaitent s’installer au Royaume-Uni ou en Europe du Nord.

Des filières clandestines se sont organisées sous l’égide de groupes mafieux, décidés à exploiter la détresse d’hommes, de femmes et d’enfants, fuyant des zones en guerre ou en proie à la plus extrême pauvreté.

Selon les estimations disponibles, à l’échelle mondiale le trafic illégal de migrants ferait partie des trafics illégaux les plus lucratifs après les stupéfiants et les armes. Il rapporterait ainsi aux passeurs plus de 30 milliards d’euros par an [1]. Mais en réalité, on peut difficilement évaluer l’ampleur financière de cette forme de criminalité, clandestine par nature.

Ce que nous avons en revanche tous bien en tête, ce sont les images de ces naufrages d’embarcations au large des côtes libyennes et de leurs cortèges de corps repêchés sans vie.

Ces images nous rappellent ce à quoi nous sommes confrontés. Nous sommes confrontés à un trafic de la misère. Un trafic qui porte sur des personnes vulnérables, traitées comme des marchandises par des criminels avides, dénués de tout respect pour la vie et pour la dignité humaine.

Combien sont-ils à perdre la vie noyés en mer, asphyxiés dans un conteneur ou déshydratés dans le désert, après avoir été trompés, maltraités, extorqués ou abandonnés sans ressources par leurs passeurs au cours de leurs périple ? Ils sont des milliers. Des milliers, et l’un d’entre eux, le petit Aylan dont l’image du corps sans vie retrouvé sur la plage de Bodrum restera gravé dans nos mémoires.

Face à l’ampleur de ce phénomène,  l’Union européenne s’est emparée de la question avec pour objectif d’apporter des solutions européennes à court, moyen et long termes à cette crise migratoire.

Au sein de l’Union, la France est pleinement mobilisée.

Confrontée à une pression migratoire très élevée, notre pays a fait le choix de construire une politique migratoire équilibrée et maitrisée fondée sur trois axes majeurs :

-        Cette politique doit reposer sur une gestion concertée des flux au niveau européen. L’arrêt de la CJUE du 6 septembre dernier [2] s’inscrit dans cette perspective en validant les mécanismes de relocalisation par quotas des demandeurs d’asile et en précisant que ce mécanisme ne constitue pas « une mesure qui serait manifestement impropre » à contribuer à son objectif qui est d’aider « la république hellène et la république italienne à affronter une situation d’urgence… en allégeant la pression considérable pesant sur les régimes d’asile de ces deux Etats membres ».

-        Cette politique doit conduire à améliorer le traitement des demandes d’asile. L’asile figure expressément au § 4 du préambule de la constitution de 1946 : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République ». Ce droit doit demeurer un droit imprescriptible. Comme l’a rappelé le président de la République, « nous devons accueillir des réfugiés car c’est notre tradition et notre honneur ».

-        Enfin la France doit conduire une politique assumée de lutte contre l’immigration irrégulière. C’est dans ce cadre que la DACG a construit le séminaire qui nous réunit aujourd’hui.

Le ministère de la justice, déjà pleinement engagé sur cette thématique, doit en effet poursuivre et amplifier ses efforts en matière de répression des organisations criminelles à la tête de ces filières clandestines. Notre ministère agit au plan général et au plan local.

Au plan général, ainsi que le précise le plan « immigration et asile » présenté par le Gouvernement le 12 juillet dernier, « les parquets sont mobilisés pour renforcer la lutte contre les filières criminelles d’immigration irrégulière et pour la poursuite des comportements ayant pour seul objet de faire obstacle à l’exécution d’une décision d’éloignement. Un effort particulier sera déployé en faveur d’une meilleure coordination entre les services de police concernés et les juridictions interrégionales spécialisées compétentes ».

Dans la mise en œuvre de cette politique, les parquets et la DACG ont fait preuve d’une mobilisation constante reposant sur un principe de circulation de l’information préalable nécessaire à l’efficacité de l’action  et fondée sur une approche judiciaire globale et pragmatique.

Dans ce travail qui exige minutie et persévérance, plusieurs difficultés ont pu être identifiées sur lesquelles vous aurez aujourd’hui à réfléchir, notamment celles relatives au principe de la double information, à la stratégie globale en matière de lutte contre les filières et aux investigations financières et patrimoniales.

Ces réflexions sont capitales car il est essentiel que tous les acteurs judiciaires impliqués n’œuvrent pas de façon cloisonnée mais en pleine connaissance des différentes modalités de traitement coexistantes et avec le même degré d’information afin d’assurer la complémentarité nécessaire à l’efficacité de la réponse judiciaire globale.

*

Sur le plan local, j’attends de vous une réponse pénale emprunte de la plus grande fermeté à l’encontre des filières de passeurs.

A ce titre, je pense que le retour d’expérience du parquet général de Douai, au cours de ce séminaire, pourra être particulièrement enrichissant eu égard à la politique pénale qu’il a mise en œuvre dans ce domaine ces dernières années. La situation du Calaisis constitue une problématique particulière et majeure qui est une réalité ancienne de plus de 20 ans. La région des Hauts de France est confrontée depuis plusieurs années à l’implantation de réseaux de passeurs, ayant eu pour conséquence, jusqu’à il y a quelques mois, la présence de plus de 7000 migrants dans les zones baptisées «camp de la lande » ou «jungle de Calais ». Face à cette situation, une circulaire a été diffusée par le ministère de la justice le 24 novembre 2015 et une politique pénale régionale spécifique a été menée par le parquet général de Douai et déclinée sur l’ensemble du ressort afin de mettre en place un suivi strict des affaires portant sur les réseaux de passeurs. Je tiens ici à saluer l’action déterminée des magistrats du ministère public du ressort de la cour d’appel de Douai. Je mesure à quel point, face à ces enjeux et à un contexte local difficile, les autorités judiciaires du ressort font preuve d’une mobilisation importante. Je me rendrai d’ailleurs personnellement, dans les semaines qui viennent, à Lille afin de rencontrer l’ensemble du personnel qui œuvre au sein de la « juridiction interrégionale spécialisée » (JIRS) dans la lutte contre les filières clandestines.

Mais au-delà du seul cas de Douai, bien d’autres ressorts de Cours d’appel sont concernés par cette problématique. A cet égard, la circulaire du 24 novembre 2015, bien que d’orientation territoriale, intéresse l’ensemble des juridictions et tout particulièrement les JIRS. Les JIRS ont en effet un rôle majeur à jouer dans le démantèlement des filières d’immigration clandestine au regard notamment de la complexité des investigations à mener et du caractère international qu’elles revêtent très souvent.

Outre les JIRS, les parquets locaux non spécialisés doivent rester mobilisés au niveau local et participer au démantèlement de ces réseaux dans les territoires faisant face aux flux migratoires les plus importants :

ü A Calais et à Dunkerque, porte d’entrée vers la Grande-Bretagne,

ü Dans les Alpes-Maritimes, zone frontalière de l’Italie,

ü En Ile-de-France, carrefour de filières qui traversent le territoire national,

ü Dans les départements d’outre-mer confrontés à une forte immigration irrégulière notamment en Guyane et à Mayotte.

Parallèlement à cette politique de fermeté à l’égard des passeurs, les parquets locaux doivent par ailleurs, conformément aux objectifs présentés dans le « plan migrant », adopter une politique de fermeté à l’égard des comportements ayant pour seul objet de faire obstacle à l’exécution d’une décision d’éloignement [3], s’agissant de faits pénalement sanctionnables et devant donc être poursuivis comme tels [4]. Votre vigilance, votre action et vos efforts de coordination sont en ce domaine, essentiels.

Il est également essentiel que soit prise entièrement en compte la dimension internationale de cette problématique à travers un renforcement de la coopération judiciaire.

*

Le trafic de migrants est par nature d’essence transnationale. Il est donc primordial pour lutter efficacement contre ce phénomène criminel, de ne pas limiter les investigations aux agissements commis sur le seul territoire national. Il nous faut développer la collaboration avec les pays d’origine, de destination ou de transit dans lesquels l’activité de ces filières s’exerce.Cette coopération doit être particulièrement amplifiée avec nos voisins européens : italiens, belges, néerlandais et surtout britanniques. La signature par la France et le Royaume-Uni d’un protocole de coopération judiciaire et policière le 7 septembre 2015 pour renforcer et faciliter la coopération avec les autorités britanniques a été un premier pas dans le développement de cette coopération. La circulaire du 24 novembre 2015 en a également fait un objectif majeur.

Les moyens adoptés pour mettre en œuvre et améliorer cette coopération sont de plusieurs ordres et reposent sur :

ü Les initiatives des parquets, telle que la création d’une « conférence des ministères publics de la mer du Nord » par le parquet général de Douai [5] ;

ü La nomination d’une magistrate de liaison britannique en Francespécialisée dans la lutte contre les filières d’immigration clandestine et  la traite des êtres humains ;

ü Les relais que constituent les magistrats de liaison français à l’étranger ;

ü L’appui d’Eurojust notamment dans le cadre de la signature des « équipes communes d’enquête ».

Je crois fermement que c’est à travers une coopération judiciaire toujours plus renforcée que nous parviendrons, ensemble, à mettre à bas ces groupes mafieux.

*

Je sais que beaucoup a déjà été fait et je vous en remercie.

Mais, et nous le mesurons tous, le défi reste immense. En dépit de la pertinence des politiques menées et des résultats acquis, la pression migratoire est telle qu’elle justifie la poursuite et l’amélioration des dispositifs mis en place.

Pour demeurer à la hauteur des enjeux, il convient d’amplifier nos efforts et d’apprendre de nos expériences respectives.

Soyez en tout cas assurés que à vos côtés, je mettrai, pour parvenir à cet objectif, toute mon énergie et ma détermination.

 

Lire le discours

 

 


[1] estimation réalisée par l’« Organisation internationale pour les migrations » (35 milliards $ / an soit environ 30 milliards € / an)

[2] CJUE, 6 septembre 2017, C 643/15 et C 647/15 Slovaquie et Hongrie C/ Conseil

[3] Un étranger non-européen peut faire l'objet de plusieurs mesures administratives d'éloignement : obligation de quitter la France, arrêté de reconduite à la frontière, expulsion..

[4] ces faits sont prévus et réprimés par l’article L.611-3 CESEDA d’une peine d'1 an d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende

[5] Conférence créée à l’initiative du parquet général de Douai réunissant des magistrats et des représentants des services enquêteurs français, belges, néerlandais et britanniques, destinée à renforcer la coopération en matière de lutte contre les filières d’immigration clandestine

 
 
 
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