Ministère de la Justice
 
 

04 avril 2017

Remise livre blanc immobilier pénitentiaire

Discours de Monsieur Jean-Jacques URVOAS, garde des sceaux, ministre de la justice

Remise du rapport de la commission du livre blanc sur l’immobilier pénitentiaire
Chancellerie – Mardi 4 avril 2017

Seul le prononcé fait foi

La proposition de conduire une réflexion d’aussi grande ampleur que celle que je vous ai proposé par courrier le 13 décembre était une gageure.

Et pourtant le résultat auquel vous êtes parvenu est bien au-delà de mes attentes.

Je veux donc tout d’abord commencer pour vous féliciter, ainsi que votre rapporteur général (Patrick MOUNAUD) et vos rapporteurs spéciaux (Anne BERARD, Vincent DELBOS et Christophe ROGUE).

La qualité du travail accompli, le rythme soutenu auquel vous y avez procédé, la densité de l’expertise ainsi rassemblée, le nombre des auditions réalisées et la solidité de vos propositions forcent le respect.

Ce n’était évidemment pas mon intention initiale mais la lecture de votre rapport me conforte dans ma conviction :

Ä Ce rapport est tout à la fois un début et une étape fondamentale pour construire un consensus autour d’un enjeu déterminant.

Car, ainsi que vous l’évoquez avec raison, « la prison est un bâtiment républicain » (p.11) et il est possible de s’élever au-delà des clivages partisans et d’établir un diagnostic partagé pour enfin relever des défis.

Votre rapport intervient alors que notre pays s’apprête à dépasser un triste record historique.

En effet, avec 69 430 détenus au 1er mars, pour une capacité opérationnelle de 58 664 places dans les établissements pénitentiaires, nous connaissons durablement une sur-occupation « hors norme ».

Le précédent record remontait au 1er juillet 2016 quand 69 375 personnes incarcérées avaient été comptabilisés.

Et il est à craindre que nous allons dépasser dans les prochaines semaines 70 000.

Hélas, cette situation vient confirmer les craintes que j’avais choisi d’exprimer lors de la présentation le 20 septembre 2016 du rapport « En finir avec la surpopulation carcérale ».

Ce « tocsin » que je sonnais alors voulait rappeler que cette situation ne relevait pas de « la seule responsabilité de l’administration pénitentiaire, puisque, si celle-ci est chargée de la mise en œuvre du mandat judiciaire en matière d’exécution des peines, son efficacité dépend en partie des décisions judiciaires et des contributions d’autres intervenants »

C’est dire la brulante actualité de vos 24 propositions et l’urgence d’y répondre.

Je veux cependant vous dire en préalable que j’ai appris beaucoup de choses à la lecture de votre document.

Ainsi

Ä Les possibilités qui existent pour un Juge de l'application des peines (JAP) de déléguer au Directeur des services pénitentiaires (DSP) ou au Service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) la mise en œuvre des permissions de sortir (art D 142 Code de procédure pénale),

Ä Les compétences développées au Centre pénitentiaire de Château-Thierry en matière de traitement des détenus atteints d’affection mentale.

Mais évidemment pour l’essentiel, ce sont vos propositions qui nous rassemblent.

Ä A commencer par la volonté de promouvoir l’encellulement individuel.

Nos prisons n’en peuvent plus de n’être que des objets de tribunes ou de discours.

Il n’est plus temps d’ajouter des mots pour dénoncer des maux.

Et comme vous, je pense que seule une action opiniâtre, pragmatique et consensuelle, qui ne fluctue pas au grès des différents gouvernements permettra de tourner la page de nos moratoires pour enfin œuvrer dans la durée.

Ä Nous partageons aussi la conviction que la seule politique d’avenir qui compte est celle qui nous fera rompre avec une vision afflictive de la peine.

Il faut sortir notre pays de sa culture du cachot, rappeler que la prison n’est qu’un lieu, que ce sont les personnels et l’action qu’ils conduisent en son sein qui lui donnent du sens.

Cependant, comme il ne peut être question ce matin de répondre chacune d’entre elle, j’ai préparé une réponse écrite que je vais vous remettre afin que la discussion se poursuive mais, surtout, que la réforme s’engage.

Toutes les actions ne répondent pas à la même temporalité, mais certaines peuvent être engagées dès à présent.

Ø D’abord la loi de programmation.

C’est la colonne vertébrale de votre architecture, c’est devenu mon principal combat.

Dès lors, pas une minute ne doit être perdue.

L’objectif doit être une présentation par le garde des Sceaux alors en fonction et un vote dès la fin de cette année 2017 !

Le ministère ne peut attendre, car en matière carcérale, le futur est déjà le présent.

S’installer, prendre du temps, c’est alors le risque que le chantier parlementaire ne s’engage qu’à l’hiver et que l’adoption n’intervienne en 2018 !

Un exercice budgétaire de perdu.

De surcroit, ce ministère n’a pas l’habitude de préparer des lois de programmation.

La dernière remonte en septembre 2002, auparavant à janvier 1995.

En conséquence, parce que ce texte ne concernera pas que la direction de l’administration pénitentiaire (DAP), je demande au secrétaire général du Ministère, de coordonner ce travail déterminant.

J’ai fixé nos besoins à 1 milliard sur 5 ans.

Mais il nous faut maintenant préciser quelle ambition nous voulons servir, quels projets précis il convient de  concrétiser et quel calendrier nous pouvons nous fixer.

Le pré-projet traitera tout autant des établissements pénitentiaires que des juridictions et des services de la protection judiciaire de la jeunesse.

Il devra évoquer pour les planifier les recrutements d’une ampleur inégalée auquel nous aurons à procéder.

Vous l’avez rappelé le nombre de départ à la retraite sera de 1300/an à partir de 2021.

J’y ajoute mon ambition de doubler le nombre des personnels d’insertion et de probation, une composante irréductible de la DAP qui, si elle est numériquement plus faible que la filière surveillance, n’en est pas moins importante.

Mais encore engager les indispensables réformes sur le fonctionnement du ministère.

C’est d’ailleurs dans ce but que je conduis en ce moment une réforme de services afin de renforcer le secrétariat général.

Et parce que d’une certaine façon, votre document est l’étude d’impact de ce prochain texte de programmation, je souhaite que, dans cet exercice, le Secrétaire général vous associe autant que faire se pourra ainsi membres de la Commission.

J’entends que ce travail soit établi dès la fin de l’été d’un projet afin qu’il puisse être soumis aux arbitrages interministériels nécessaires, au moment où le Projet de loi de finances (PLF) est lui-même en discussion.

L’idéal serait que lorsque l’Assemblée débutera à l’automne le débat budgétaire, le Sénat puisse lui être saisi de cette loi de programmation.

Ø Autre chantier au long court, que j’engage sur votre recommandation : la rédaction du Code pénitentiaire.

Je l’ai confié à Philippe LEMAIRE procureur général près la Cour d’appel d’Amiens.

Celui-ci, comportant une partie législative et une partie réglementaire, devra à la fois :

Ä Moderniser les dispositions existantes, tenir compte des adaptions rendues nécessaires par les dernières réformes mises en œuvre,

Ä Accompagner l’ambition que nous partageons en matière

à d’aménagement de peine,

à de politique de réinsertion et de prévention de la récidive,

à de classification des établissements et de régime de détention,

à de relation avec l’autorité judiciaire.

 Ø 3ème chantier : la refonte de l’entier appareil statistique du ministère afin de le faire correspondre aux meilleurs standards.

Vous pointez nos « déficiences » préjudiciable notamment une efficace politique de l’exécution des peines.

De fait, nous sommes l’un des dernières grandes administrations qui ne soit pas dotée d’un service statistique ministériel (SMM) couvrant la totalité du champ ministériel.

Je vais solliciter le directeur de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) pour que cette mutation soit engagée.

Ø  En parallèle, le ministère va contracter une assistance à maîtrise d’ouvrage afin de pallier les carences que vous avez justement signalées concernant les logiciels que nous utilisons (Cassiopée, Genesis ou APPI).

Il est en effet anormal que nous ne soyons pas en mesure d’effectuer un suivi de la totalité d’un parcours pénal d’une personne ou que nous ne disposions pas d’éléments solides en temps réel ou prévisionnels.

Concernant plus concrètement le cœur de vos réflexions, c’est-à-dire les prochains projets immobiliers, je retiens dans l’immédiat :

Ä Vos suggestions sur la concertation que vous estimez insuffisante autour de l’implantation des futurs établissements. 

Comme nous n’avons pas encore totalement atteint l’objectif d’identifier 33 lieux d’implantation, ces remarques rendront encore plus efficaces nos recherches notamment sur l’Ile-de-France. 

Le préfet de région doit nous en parler cette semaine.

Ä Dans le même esprit, vous préconisez aussi la mise en place d’une démarche partenariale qui associe les acteurs décisifs d’un territoire, en particulier les collectivités territoriales, autour de la construction d’un établissement et de son fonctionnement (notamment en matière d’insertion et d’activité) (vos propositions 18 et 19).

Pour animer ces indispensables relations, vous indiquer que le préfet de département constituerait l’acteur idoine (votre proposition 22).

Dans cette perspective, je solliciterai du Premier ministre qu’il adresse une circulaire interministérielle afin de concrétiser les conditions de cette  coordination.

Ä Evidemment, les préconisations architecturales que vous réalisez devront guider les prochains projets (vos propositions 12 et 15).

Je pense notamment  l’organisation des espaces autour de la journée de détention ou la taille des quartiers arrivants pour permettre de renforcer l’évaluation des personnes détenues.       

Ä Votre préconisation de retenir Agen pour l’extension souhaitable de l’Ecole nationale d'administration pénitentiaire (ENAP) sera aussi entendue.

Le premier ministre avait estimé que cette perspective était « l’option naturelle ».

Les élus locaux reçus le 11 octobre sont unanimes.

Je demande donc au directeur de l’administration pénitentiaire de mettre en œuvre les éléments techniques nécessaires à l’agrandissement d’Agen.

Ä Et concernant j’engage l’expertise de vos recommandations d’alignement du régime des permissions de sortie des personnes condamnées exécutant leur peine en maison d’arrêt sur celui des personnes condamnées l’exécutant en centre de détention (votre proposition 6).

Naturellement, il y a bien d’autres pistes ouvertes dans lesquelles je me reconnais :

Ä Le développement des modules « respect »,

Ä La création de l’Agence nationale de l’activité des personnes placées sous main de justice,

Ä L’affectation directe dans les quartiers de préparation à la sortie (QPS) des courtes peines,…

Mais pour ne pas prolonger un discours déjà trop long fleuve, je me permets de vous renvoyer à ma réponse écrite.

« Le moyen d'ennuyer est de vouloir tout dire » Voltaire

Mesdames, messieurs, monsieur le Président,

La prison n’est qu’une solution parmi d’autres, dans un objectif d’efficacité de la réponse pénale qui doit permettre de punir l’auteur et de protéger la société en évitant la récidive.

Aussi j’assume ma particulière exigence pour l’administration pénitentiaire et les missions qu’elle doit conduire.

La tâche est ardue mais beaucoup a déjà été accompli. 

Cela nécessite une parfaite implication de l’ensemble des personnels et de la constance, à tous les niveaux de l’administration pénitentiaire.

Je veux vous dire que je prends votre travail comme une invitation à continuer à agir.

Lire le discours

 
 
 
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