A l’occasion du 70ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), les organisateurs de ce colloque, Olivier de Frouville, Professeur à l’université Paris II Panthéon-Assas, directeur du Centre de recherche sur les droits de l’homme et le droit humanitaire (CRDH) (Université Paris II) et Julie Tavernier, Docteur du CRDH ont choisi d’envisager l’avenir et les défis contemporains auxquels doivent faire face les droits de l’Homme, et plus particulièrement le défi des nouvelles technologies. L’objet du colloque « La Déclaration universelle des droits de l’Homme 70 ans après : les fondements des droits de l’homme au défi des nouvelles technologies » organisé par le C.R.D.H., les 13 et 14 décembre 2018, était de questionner la pertinence des principes fondateurs des droits de l’homme – les notions de dignité, d’égalité et de responsabilité – en présence d’enjeux qui affectent la condition humaine.
Les intervenants se sont intéressés aux problèmes juridiques induits pas les nouvelles technologies qui n’auraient pas pu être anticipés par les rédacteurs de la DUDH, ainsi qu’aux conséquences du développement des nouvelles technologies sur les droits de l’Homme, avant d’interroger la nécessité de consacrer de nouveaux droits de l’Homme qui devraient être ajoutés au catalogue de la DUDH.
La première demi-journée était consacrée à la définition de l’être humain, titulaire des droits de l’homme, en tant qu’être libre et digne. Dans cette perspective, M. Trigeaud, Maître de conférences à l’université Paris II Panthéon-Assas a abordé les conceptions anthropologiques des rédacteurs de la DUDH. Il a montré que derrière le choix neutre de la notion de « personne », la DUDH était porteuse d’une certaine conception de l’Homme. Le Pr Laval, Professeur à l’université d’Orléans a poursuivi sur la question des problèmes juridiques du transhumanisme, soulignant que cette « idéologie », déjà d’actualité dans les faits, suscitait la crainte que la technologie n’affecte la primauté de la personne humaine. Mme Bellami, doctorante à l’université Paris II Panthéon-Assas a ensuite traité de l’ectogénèse (la procréation d’un être humain qui permet le développement de l’embryon et du fœtus dans un utérus artificiel) et a observé qu’au moment de l’élaboration de la DUDH, les méthodes de procréation artificielle n’étaient pas suffisamment développées pour que les auteurs puissent les appréhender. A partir de ce constat, elle a proposé une réflexion sur l’impact de l’ectogénèse sur les droits de l’Homme, soulignant la synergie entre bioéthique et droits de l’Homme. M. Garapon, Secrétaire général de l’Institut des hautes études sur la justice est intervenu sur le droit d’être un Homme à l’ère technologique. Avec le numérique, nous assistons selon lui à une « révolution graphique », renouvelant les catégories mêmes sur lesquelles était fondé le droit. Il a indiqué qu’il fallait reprendre un travail d’analyse en partant de cette radicalité de la technique, en pensant le droit pour un monde numérique. Cette première demi-journée s’est clôturée par une table ronde consacrée aux nouvelles autonomies de l’Homme. Présidée par le Pr Perroud, Professeur à l’université Paris II Panthéon-Assas elle a eu pour objet de montrer comment les nouvelles technologies permettent à la fois d’accroître les libertés individuelles, mais aussi de les réduire par la mise en place de contraintes plus ou moins visibles. La Pr. Norodom, Professeure à l’université Paris Descartes en se concentrant sur le traitement des données de masse, l’internet et l’intelligence artificielle, a souligné que les enjeux soulevés par les nouvelles technologies n’étaient pas tous inédits, mais se singularisaient par leur ampleur. M. Bernard, Secrétaire général adjoint de Reporters sans frontières s’est concentré sur le droit à l’information et le défi des fake news. Le Pr. Worms, Professeur à l’ENS, membre du CCNE qui s’est intéressé aux questions bioéthiques, a défendu la thèse d’un retour au noyau dur des droits de l’Homme plutôt qu’une réécriture de la DUDH.
Le colloque s’est poursuivi par une série d’interventions consacrées au principe d’égalité. Le Pr Dubout, Professeur à l’université Paris II Panthéon-Assas s’est d’abord intéressé aux « nouvelles frontières de l’égalité » en interrogeant successivement la « frontière de l’humanité » (l’égalité de qui ?), la « frontière de l’équité » (l’égalité à quoi ?) et la « frontière de la normativité » (l’égalité par qui ?). Les rapports entre égalité et nouvelles technologies ont ensuite été abordés suivant une perspective thématique. Mme Grosbon , Maîtresse de conférences à l’université Paris Nanterre a expliqué comment les nouvelles technologies constituent à la fois un outil d’émancipation des femmes mais également un vecteur d’aliénation. Elle a notamment souligné que les travaux onusiens ne mettaient que peu l’accent sur l’impact négatif des nouvelles technologies, notamment d’internet, sur la condition des femmes. Le Pr Gamet, Professeur à l’université Paris Est-Créteil Val de Marne a quant à lui abordé l’impact des nouvelles technologies au prisme des droits sociaux et du droit au travail. Il a montré que les nouvelles technologies pourraient fragiliser le droit au travail proclamé à l’art. 23 de la DUDH et l’actualité, dans ce contexte, du droit à la sécurité sociale tel que défini à l’art. 22 de la DUDH.
La troisième demi-journée était consacrée à la notion de responsabilité. Dans son intervention, le Pr Shany, Professeur à l’université hébraïque de Jérusalem, membre du Comité des droits de l’homme de l’ONU a traité des obligations de l’État, à la fois négatives et positives, de réguler les activités dans l’environnement digital et de promouvoir le respect des droits de l’homme. Il a précisé que l’effectivité de cette approche centrée sur les États dans un environnement digital décentralisé, où les acteurs privés détiennent un poids prédominant, doit être nuancée. La Pr Muhlmann, Professeure à l’université Paris II Panthéon-Assas a ensuite présenté les défis que posent internet à la conception classique de la liberté d’expression. Elle a notamment souligné les limites du développement et du durcissement législatif interne, qui risquent de mener à une perte de lisibilité et à une remise en cause de l’effectivité de la loi. Me Deshoulières, Avocat au Barreau de Paris, s’est intéressé aux nouvelles perspectives ouvertes par la « justice digitale » et aux problèmes suscités par la mise en place d’un système de justice en ligne, notamment en termes de traduction sous forme informatique des droits fondamentaux tels que le droit à un procès équitable. Enfin, une table ronde présidée par le Pr de Frouville, était consacrée à l’apport des nouvelles technologies dans l’établissement des faits constitutifs de violations des droits de l’homme. Mme Jamal, doctorante à l’université Paris II Panthéon-Assas a exposé comment l’utilisation des nouvelles technologies conduit à surmonter l’obstacle lié au consentement de l’État pour accéder à son territoire. Mme Marchi-Uhel, Magistrate, présidente du mécanisme d’enquête de l’ONU sur la Syrie, a apporté une illustration concrète de l’usage des nouvelles technologies dans la collecte des preuves, la gestion des données numériques et la préservation des preuves. M. Dubberley d’Amnesty International, a quant à lui rappelé que les nouvelles technologies, s’ils elles étaient très utiles, ne remplaçaient pas les méthodes classiques de terrain.
Le colloque a également réuni, autour d’une table ronde intitulée « Les rapports des commissions indépendantes : problèmes ‘éthiques’ solutions juridiques » et animée par la Pr Muhlmann, Mme Lafourcade, Secrétaire générale de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), Mme Vulliet-Tavernier, Directrice des relations avec le public et la recherche de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) et M. Delfraissy, Président du Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE). Sur la base d’avis et de rapports récents rendus par les institutions qu’ils représentent, les intervenants ont abordé l’ensemble des questions qui constituaient le fil du colloque.
Dans ses conclusions générales, la Pr Lochak, Professeure émérite de l’université Paris Nanterre a insisté sur l’impact des nouvelles technologies sur le lien social et citoyen, sur l’appréhension de l’être humain ainsi que sur l’opportunité d’une certaine prise de conscience d’une solidarité de destin. Elle a également soulevé des pistes de réflexion, dans la continuité du colloque, axées sur les neurosciences, le neurodroit, ou l’imagerie cérébrale utilisée à des fins répressives, qui interrogent sur le déterminisme.
Olivier de Frouville, Professeur à l’université Paris II Panthéon-Assas, directeur du Centre de recherche sur les droits de l’homme et le droit humanitaire (CRDH) (Université Paris II).