Le 3 novembre 2020 est paru le 42ème numéro des Archives de politique criminelle sur les Déviances sportives. Ce numéro explore les formes les plus diverses des comportements délinquants dans le sport au sens juridique et offre un impressionnant panorama d’infractions commises dans la pratique du sport : violences volontaires et/ou involontaires, abus sexuels, dopage, corruption, hooliganisme jusqu’à la grande criminalité internationale… Entretien avec Christine Lazerges Professeure émérite, de Droit privé et sciences criminelles et Pascal Beauvais, Professeur des universités à l’Université Paris 1- Panthéon Sorbonne, responsables scientifiques et coordinateurs de ce numéro.
Laetitia L-H : Pourriez-vous présenter brièvement l’histoire de la revue depuis sa création ?
Christine Lazerges : Marc Ancel, haut magistrat civiliste, passionné de droit comparé et de politique criminelle, humaniste, porteur en France du mouvement de la Défense sociale nouvelle, a créé en 1972 avec quelques collègues et amis, magistrats, universitaires et avocats un Centre de recherches de politique criminelle (CRPC) sous la forme d’une association. L’objet du CRPC, hébergé par le Centre français de droit comparé, n’était autre selon les mots de Marc Ancel que : « l’étude et la comparaison des politiques criminelles des différents pays, de leur application effective, des difficultés qu’elles rencontrent et des résultats qu’elles obtiennent ». S’est imposée rapidement la nécessité d’une revue du CRPC, nommée Archives de politique criminelle (APC), au rythme d’un numéro par an pour publier les actes des colloques que le CRPC organisait. Le premier numéro est sorti en 1975 aux éditions Pedone, éditeur privilégiant les travaux de droit comparé et de droit international. Dès l’origine, les correspondants étrangers du Centre de recherches de politique criminelle furent nombreux, non seulement universitaires ou praticiens de pays d’Europe de l’Ouest et de l’Est, mais aussi d’Amérique latine et d’Asie.
En 1987, Marc Ancel et le conseil de direction du CRPC me confièrent la mission de rédactrice en chef des Archives de politique criminelle ; l’équipe de recherche sur la politique, que je dirigeais alors à l’Université de Montpellier 1, devint associée au CRPC. Ce fut le début de l’élargissement des porteurs universitaires des Archives. Aujourd’hui nous nous réjouissons que les APC soient toujours publiés aux éditions Pedone et soutenues par huit centres ou organismes de recherche : le Laboratoire d’études juridiques et politiques (Université de Cergy-Pontoise) ; l’Équipe de recherches appliquées au droit privé (CRPD-Université de Lille 2) ; le Centre d’études et de recherches comparatives constitutionnelles et politiques (CERCOP, Université de Montpellier) ; l’UMR Droit et changement social (Université de Nantes) ; l’Institut de recherche juridique de la Sorbonne-département de droit pénal (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) ; le Centre de droit pénal et de criminologie (Université Paris Nanterre) ; l’Équipe poitevine de recherche et d’encadrement doctoral en sciences criminelles (Université de Poitiers) et la Mission de recherche Droit et Justice. Toutes ces unités de recherche sont représentées au comité de rédaction.
Dès 2007, j’ai été admirablement secondée dans ma mission de rédactrice en chef, par une secrétaire générale, Raphaële Parizot jusqu’en 2018, puis par un secrétaire général Pascal Beauvais. Depuis 2008 les numéros des Archives de politique criminelle sont centrés sur des thèmes, ainsi « Justice des mineurs » en 2008 ou « Déviances sportives » en 2020.
Laetitia L-H : Quels sont les objectifs poursuivis ?
Christine Lazerges : L’objectif premier des APC est de rendre compte de la richesse d’une approche transversale du phénomène criminel. Le phénomène criminel au sens large n’est pas constitué des seules infractions pénales mais de l’ensemble des comportements incriminés ou non par la loi pénale, considérés comme troublant l’ordre social parce que troublant l’ordre juridique dans son pluralisme. La politique criminelle n’est rien d’autre que la stratégie des réponses au phénomène criminel s’exprimant par un double système de sanction étatiques et sociétales dans le respect des libertés et droits fondamentaux. La revue Archives de politique criminelle est en conséquence une revue pluridisciplinaire qui se situe à l’intersection du droit pénal, de la sociologie, de la philosophie, de l’histoire, de la criminologie et de la science politique.
Sollicitant divers champs des sciences juridiques et sociales, la Revue ne fait pas appel uniquement à des juristes, magistrats, universitaires et chercheurs. Sur chaque thème traité les APC favorisent le croisement des compétences d’auteurs français et étrangers. Le deuxième objectif des Archives de politique criminelle est de faire une large place à la recherche dans ses trois parties, « Principes et problèmes de politique criminelle », « Politique criminelle appliquée », « Politique criminelle comparée ». Depuis l’origine notre revue s’est voulu une revue rendant compte des travaux collectifs de recherche universitaire, collectifs alors même que la recherche collective n’avait pas encore acquis la place qui est la sienne aujourd’hui. Le partenariat avec le GIP Mission de recherche Droit et Justice et sept laboratoires de recherche universitaires est significatif de la détermination du comité de rédaction à renforcer ses liens avec la recherche. Le troisième objectif des Archives de politique criminelle est de développer son lectorat donc sa diffusion. Étrangement son audience internationale est plus forte que son audience nationale. En un temps où les disciplines ont tendance à se replier sur elles-mêmes en raison d’une technicité toujours plus développée, les APC s’efforcent de proposer un état des questions plus global et transversal permettant d’intéresser des lecteurs qui ne soient pas seulement des juristes théoriciens ou praticiens.
Laetitia L-H : Quel est son positionnement entre la doctrine et la pratique et plus globalement dans le paysage des revues de droit ?
Christine Lazerges : La construction même de chaque volume des APC indique combien sont systématiquement croisées la doctrine et la pratique. La grande sœur de la revue Archives de politique criminelle est la Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, créée par Henri Donnedieu de Vabres en 1936, lui-même écrivait déjà en politique criminelle ; rappelons son ouvrage sur « La politique criminelle des États autoritaires » publié en 1928 aux Éditions Sirey, réédité par Dalloz en 2009. Les deux revues ont toujours été très proches, ne serait-ce que par les membres de leur comité de rédaction respectif. L’intérêt pour le droit comparé et l’attachement au développement des sciences criminelles est commun. Les liens de parenté entre la RSC et les APC ne nuisent en rien à la spécificité d’une revue trimestrielle pour la première, et d’une revue annuelle pour l’autre consacrée chaque année à un thème différent. Notre revue est utilement complémentaire des revues classiques de droit pénal (par exemple l’AJ Pénal, la Revue Droit pénal, la revue en ligne Lexbase Pénal ), parce qu’elle prend en compte la dimension politique et sociologique du droit pénal, elle est une revue de politique criminelle.
Laetitia L-H : Pourquoi avoir choisi le thème des déviances sportives ?
Pascal Beauvais : Pour trois raisons principales. D’abord, le sport est un phénomène social majeur qui a été peu étudié sous l’angle du droit pénal et des politiques de sécurité. Ensuite, parce que le sport est à la fois une activité au cœur de nos vies quotidiennes, mais aussi un monde à part entière, qui comporte ses propres normes, ses déviances spécifiques et ses instances autonomes de gestion des illégalismes. Enfin, tout en étant une source de bien-être, de partages et de mobilités, le sport constitue aussi un laboratoire de tendances sociales lourdes : société du spectacle, marchandisation des corps, développement transnational à l’abri des États. Il était intéressant de comprendre comment la délinquance s’y déploie et à quelles formes de réponses publiques il peut donner lieu.
La richesse des contributions de ce numéro, qui traite de sujets aussi variés que les violences sexuelles dans le sport, la pénalisation des transferts de joueurs, le traitement pénal des accidents de montagne ou les méthodes de lutte contre le hooliganisme, montre non seulement l’intérêt de ce thème mais aussi son caractère fructueux pour comprendre les mutations actuelles des stratégies de réponse à la délinquance.
La lutte contre le dopage et contre la corruption, qui font partie des sujets abordés dans ce numéro, sont deux exemples très intéressants de nouvelles formes de politique criminelles, qui doivent s’adapter aux spécificités du phénomène sportif. Elles comportent de nouveaux acteurs et adoptent de nouvelles méthodes : collectivités locales s’engageant contre les risques d’atteintes à la probité, comités de déontologie imposant la transparence, agence mondiale antidopage développant un programme d’action et un code international en coordination avec les travaux de l’UNESCO…
Une des grandes limites à la lutte contre les déviances sportives a longtemps été l’autonomie relative des ordres juridiques sportifs par rapport aux pouvoirs publics : cette culture de l’entre-soi et de la confidentialité des organisations sportives, notamment internationales, n’est toutefois plus tenable aujourd’hui, comme le montrent de nombreux exemples d’affaires qui, à l’ère du numérique, ont été évidemment médiatisées. Le temps est venu, en mêlant notamment les instruments du droit souple et de la coopération répressive, d’un pluralisme juridique coordonnant mieux les réponses sportives et étatiques à ces phénomènes multiformes aux préjudices souvent considérables.
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