Printemps 2005
ISSN : 1280-1946
Télécharger la Lettre RDJ n°20
SOMMAIRE
Éditorial > Construire le droit – Yann Aguila
Recherches > La fabrique du droit au Conseil de l’Europe / Les principes fondamentaux dans la jurisprudence des juridictions suprêmes / La volonté de juger. Les juges non professionnels / Les transformations de l’administration de la preuve pénale
Libre-propos > Abdou Diouf / Recherche et francophonie
Dossier > Perspectives de la recherche juridique / Antoine Garapon / Nicole Maestracci / Laurent Mucchielli / Michel Bénichou
Équipe de recherche > Le CERCRID
Prix Jean Carbonnier
Notes de lecture
Actualité
Éditorial > Yann Aguila
Maître des Requêtes au Conseil d’État
Directeur de la Mission
Construire le droit
Bruno Latour évoquait, à propos du Conseil d’État, la « fabrique » du droit [1]. De fait, le droit n’est pas seulement un donné. Il est aussi, très largement, un construit. Et nombreux sont ses bâtisseurs : le législateur, certes ; mais aussi le juge, la doctrine, l’administration, et l’ensemble des praticiens. Les cabinets d’avocats émettent ainsi aujourd’hui des « opinions juridiques » [2], qui participent à l’accomplissement du droit.
Dès lors, une question mérite d’être posée : enseigne-t-on suffisamment, dans nos universités, l’art de construire le droit ? Ne faudrait-il pas, la plume à la main, former les juristes, futurs magistrats et avocats, à écrire le droit ?
Écrire des requêtes, des contrats, des jugements, et même des décrets et des lois… Des requêtes, pour apprendre à bâtir une argumentation juridique. Des jugements, pour expérimenter la rigueur, mais aussi les limites du syllogisme judiciaire. Des contrats, pour savoir anticiper les sources de litiges, évaluer les risques. Des lois et des décrets, pour mesurer la difficulté de la définition, puis de la formulation de la bonne règle de droit.
Cet exercice d’écriture présente peut-être une autre vertu pédagogique. Il renseigne sur la véritable nature du droit.
Car le fameux « syllogisme judiciaire » n’est que la partie visible du travail du juge, celle qu’il donne à voir. Il y a une phase préalable, fondamentale : celle de la recherche du droit applicable. Très souvent, la majeure du syllogisme ne va pas de soi. « Il est nécessairement une foule de circonstances dans lesquelles un juge se trouve sans loi » – comme le relevait déjà Portalis. Ou encore, dans lesquelles plusieurs interprétations sont, en pur droit, parfaitement admissibles. Le juge fait alors appel à une justification « de second ordre », selon l’expression de Maccormick [3]. Il prend en compte des motifs dits « extra-juridiques ». Ces considérations sont-elles vraiment extérieures au droit ? En tout cas, en pratique, les écritures des requérants sont nourries de références à l’impact économique, aux conséquences sociales, à l’efficacité, à l’éthique, voire… à la justice.
Ce travail de recherche du droit est au jugement ce que l’échafaudage est à un bâtiment [4]. Certes, une fois le bâtiment achevé, l’échafaudage est retiré. Mais, s’il n’est plus visible pour l’observateur extérieur, il n’en est pas moins indispensable à sa construction. Les étudiants, futurs bâtisseurs du droit, ne doivent-ils être initiés à ses échafaudages ?