Loïc CADIET, Laurent RICHER (dir.)
Paris, PUF, Collection Droit et Justice, 2003, 336 p., ISBN : 9782130537908
Pas une réunion professionnelle, pas un cénacle politique, pas une tribune journalistique où il ne soit question, tantôt, de réformer la justice, tantôt de réformer l’État, les malaises dénoncés ici, la crise invoquée là, alimentant l’appel à la réforme. Au delà de l’insatisfaction récurrente des justiciables, le trouble s’est traduit, ces dernières années, par divers mouvements de protestation des professionnels de la justice, les hommes politiques s’estimant, de leur côté, la cible, d’une croisade judiciaire. Ce malaise est paradoxal, à plus d’un titre. Nourri de reproches et de revendications qui ne convergent pas nécessairement, il se manifeste alors que l’effort public n’a jamais été aussi important en faveur de l’institution judiciaire, comme la récente loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice en porte encore témoignage. Augmentation du budget de la justice, accroissement du nombre de magistrats, modernisation des procédures civiles, pénales et administratives, développement des modes alternatifs de règlement des conflits, les facteurs de réduction de la crise n’ont certes pas manqué au cours des dix années écoulées. Mais le débat sur les moyens est un débat à courte vue s’il néglige le débat sur les fins ; la réforme de la justice n’est pas seulement affaire de lois de programme.
L’hypothèse de ce livre est que, au delà des dysfonctionnements matériels en termes d’effectifs, d’équipement ou d’infrastructures, le malaise de la justice pose aujourd’hui la question plus générale de la place de la justice dans l’architecture des pouvoirs étatiques. A l’heure où l’on n’entend plus parler que de gouvernance et de régulation, ce malaise doit être relié aux évolutions et aux critiques dont l’État est lui-même l’objet, taxé d’archaïsme et d’impuissance, invité à se moderniser, sans que l’on sache toujours ce que moderniser veut dire. La réforme de la justice ne peut pas être conçue abstraction faite de l’État, indépendamment de toute réflexion sur ce qu’est l’État dans la France européenne d’aujourd’hui, sur ce que sont ses missions, le rôle qu’y joue le droit, la part que doit y conserver la politique, la manière dont le droit et la politique peuvent trouver à s’exprimer à travers les activités relevant de la fonction législative, de la fonction exécutive et de la fonction juridictionnelle d’un État dont le centralisme est nécessairement affecté, à la base, par la consolidation des collectivités locales et, au sommet, par le renforcement de l’intégration européenne. Cette façon de poser les termes du débat entend se démarquer d’une autre conception, qui postule le déclin de l’État, voire sa disparition totale, et qui investit la justice de toutes les espérances sociétales, une justice promue épicentre de l’État de droit, creuset où s’élabore la démocratie de demain, une justice de services dans un espace public conçu comme une communauté de communautés.
Que ce soit sur le terrain des facteurs, sur celui des méthodes ou sur celui des tendances à l’œuvre en matière de réforme de la justice, les contributions qui composent ce livre s’inscrivent dans cette perspective qui situe l’institution judiciaire, en sa double dimension de pouvoir constitué et de service public, au sein de l’appareil d’État.
Loïc Cadiet est professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne Paris I, où il dirige le Centre de Recherche sur la Justice et le Procès (Institut André Tunc – UMR CNRS n° 8056) et, avec Laurent Richer, le DEA Théorie et pratique du procès.
Laurent Richer est professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne Paris I, où il co-dirige le DEA Théorie et pratique du procès ainsi que le DESS Contentieux public.