Interview de Yann Aguila, ancien directeur de la Mission de recherche Droit et Justice de 2003 à 2009, à l’initiative du Prix Carbonnier en 2005. Conseiller d’état, il travaille actuellement comme avocat au barreau de Paris, associé au Cabinet Bredin Prat.
Propos recueillis par Laetitia Louis-Hommani
Laetitia L-H : Vous avez été directeur de la Mission de recherche Droit et Justice de 2003 à 2009 et vous avez créé ce prix prestigieux en 2005 : quelle a été la genèse de cette création ?
Yann Aguila : La Mission de recherche Droit et Justice portait depuis plusieurs années le projet d’un prix de thèse qui puisse refléter les spécificités de l’approche du GIP. Mais le projet était longtemps resté dans les limbes, en raison de difficultés de conception : comment définir la finalité du prix ? Quel type de sujets éligibles ? Quel périmètre scientifique ? Quels profils de candidats ? Quelles modalités de composition du jury ? etc…
Ces questions finissaient par être paralysantes, et au bout du compte, le prix n’avait jamais été créé. J’ai proposé d’inverser le raisonnement et de faire application du bon vieux proverbe selon lequel « c’est en tombant qu’on apprend à marcher ». Nous avons créé le prix d’abord, et nous en avons défini ensuite, chemin faisant, les contours précis. Cette démarche volontariste peut paraître un peu irrationnelle… Mais le fait est qu’elle a permis de débloquer la situation et nous a conduit au Prix que l’on connaît aujourd’hui.
Dans cet esprit, le premier temps de la démarche fut de trouver un nom pour ce Prix. Celui du doyen Carbonnier s’est imposé comme une évidence, tant celui-ci incarnait l’alchimie particulière du droit et de la sociologie, qui fait l’originalité de la Mission. Ce nom a donné au Prix son identité. Et, finalement, le reste a suivi : le nom du doyen Carbonnier a largement commandé la définition des modalités du Prix.
Laetitia L-H : Comment percevez-vous l’inscription de ce Prix dans un panorama de Prix de thèse dans les domaines de la justice et du droit qui s’est considérablement enrichi ?
Yann Aguila : Le Prix Carbonnier garde son caractère unique. Celui-ci est lié à la vocation de la Mission de recherche Droit et Justice, lieu exceptionnel de rencontre entre différentes disciplines autour d’un objet d’étude commun : le droit et la justice.
Deux savoirs, en particulier, s’ignorent trop souvent : celui des juristes et celui des sociologues. La Mission joue un rôle de « passeur » entre ces deux mondes.
Il faut un prix pour encourager les travaux de recherche qui – parfois au prix d’un certain risque au regard des conventions académiques – jettent une passerelle entre les deux approches, l’étude du droit d’un côté, et celle des faits de l’autre côté. Rares sont les thèses de juristes qui s’intéressent aux faits, c’est-à-dire à la question de l’application pratique des règles de droit, en étayant leurs analyses de statistiques ou d’entretiens. Rares sont les travaux des sociologues qui, une fois passée l’étude objective des faits, tentent d’en tirer des enseignements sur les évolutions nécessaires du système juridique.
En ce qu’il récompense ce type de travaux, transversaux, ouverts, à la jonction des disciplines, le Prix Carbonnier occupe une place singulière et irremplaçable dans le paysage des prix de thèses.