Propos recueillis par Laetitia Louis-Hommani
Le Prix Vendôme 2019 a été attribué à Amanda Cabrejo le Roux, pour sa thèse « Ne bis in idem dans les discours croisés des cours supranationales sur la justice pénale », soutenue le 21 décembre 2018 à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. En tant que rapporteur de la thèse pouvez-vous nous dire quels sont ses principaux points d’intérêt et en quoi elle se distingue particulièrement ?
Avocat honoraire
Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles
Université de Nantes
« La problématique de la thèse de Madame Amanda Cabrejo le roux est simple : un objet, ne bis in idem, un champ d’étude, les cours supranationales. La méthode de travail est précisément définie et justifiée : une démarche casuistique, une approche comparative. La pédagogie de la méthode, la rigueur d’expression, la capacité de réflexion abstraite alliée à une construction dynamique, dont la cohérence est implacable servent une étude subtile des mouvements jurisprudentiels analysés et caractérisés avec une exceptionnelle précision. En même temps que la réflexion sur la manière dont chacune des cours « travaille » ne bis in idem emprunte à la philosophie, les enjeux concrets de justice ne sont pas oubliés. Car la portée de l’interdit de la double incrimination est un enjeu majeur dans notre société. Cette thèse produit des connaissances académiques de très grande qualité sur une question complexe, très actuelle et elle propose une cartographie très riche des mouvements enregistrés par les jurisprudences des cours internationales. La volonté marquée de rendre le tout très accessible en fera une référence pour les juridictions nationales, et les praticiens tandis que sa méthode et son approche novatrice des mouvements du droit devraient retenir l’attention du monde de la recherche ».
Philippe Pottier
Représentant de l’Administration pénitentiaire, ministère de la Justice
« L’excellent travail de Madame Amanda Cabrejo le Roux impressionne par l’abondance de sa documentation, en anglais, espagnol et français, et son traitement grâce à sa maitrise de ces trois langues. Il se distingue surtout par la richesse des angles de vue. Il nous convie à un parcours inédit dans les jurisprudences des quatre cours pénales supranationales. C’est là sa grande originalité, analyser aussi bien les discours des cours européennes, de la CEDH – cour européenne des droits de l’homme – et de la cour de justice de l’Union Européenne -, que ceux de la CPI – cour pénale internationale – et de la cour interaméricaine. Il livre des connaissances riches sur le traitement du principe « ne bis in idem » par ces cours. Il ouvre sur des interrogations pertinentes et complexes. La montée en puissance de la prise en compte des victimes et les risques d’impunité de violations aux droits de l’homme interrogent l’adage, conduisant à sa flexibilité, questions exposées avec cohérence et finesse. La plasticité du principe n’est pas, à ses yeux, uniquement un danger pour son maintien mais aussi une qualité permettant d’en rechercher une approche commune plutôt qu’uniforme. Si l’unité n’est pas encore en vue, sa recherche n’est pas vaine et reste un objectif « crédible et nécessaire » ».
Procureur général de Metz
« La thèse de madame Cabrejo le Roux présente l’originalité d’envisager le principe ne bis in idem à travers les discours croisés des quatre cours supranationales qui s’intéressent à la justice pénale : la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de justice de l’union européenne, la Cour interaméricaine des droits de l’homme et la Cour pénale internationale. Cette confrontation inédite entre les jurisprudences renouvelle la manière d’aborder le sujet. Il faut notamment souligner une approche complexe du principe, pensé dans une double perspective : celle de la sécurité juridique nécessaire à tout individu et celle du crédit dont a besoin l’institution judiciaire pour asseoir sa légitimité. Ce travail d’ampleur, riche de références, est d’autant plus méritant qu’il a été accompli en sept ans, parallèlement aux activités professionnelles de la candidate, notamment pour le compte des Nations Unies, et au gré de multiples « voyages » d’études (à l’université du Cap en Afrique du sud ou encore à la Cour pénale internationale). Les enjeux du sujet et l’éclairage nouveau qu’apporte l’auteure sur un principe en renouvellement constant face à l’internationalisation de la justice pénale m’ont donc conduit, en tant que lecteur de la thèse, à porter une appréciation très positive sur ce travail de recherche ».
La mention spéciale du Prix Vendôme 2019 a été attribuée à Thomas Besse pour sa thèse « La pénalisation de l’expression publique » soutenue le vendredi 22 juin 2018 à la Faculté de droit et de sciences économiques de l’Université de Limoges. En tant que rapporteur de la thèse pouvez-vous nous dire quels sont ses principaux points d’intérêt et en quoi elle se distingue particulièrement ?
Laurence Leturmy
« Monsieur Besse propose une lecture critique, selon une analyse rétrospective et prospective, du droit pénal, entendu au sens strict et non européen du terme, de l’expression publique. Ce faisant, il examine les enjeux de l’interventionnisme pénal, dans cette oscillation, constante mais renouvelée, entre outil protecteur d’une liberté fondamentale et moyen de répression des abus de son exercice pour interroger la pertinence du maintien d’un droit pénal de la presse mis à l’épreuve, tour à tour, « des mutations de nature sociale » -parmi lesquelles la création de nouvelles infractions et la sur-sollicitation du procès pénal- et « de mutations de nature technique » –médiatisation de la société et développement d’internet notamment-. L’auteur propose ainsi de redéfinir les frontières qui devraient être celles de la pénalisation de l’expression publique, dans la double perspective des fonctions, expressive et répressive, du droit pénal. Il défend là, avec conviction, la préservation, à la faveur de quelques évolutions et rééquilibrages, du régime libéral et dérogatoire de la loi de 1881, afin que la liberté d’expression –entendue comme celle de tous et non des seuls professionnels- soit garantie tant que du moins elle s’exerce sur le (seul) terrain de la pensée ».
Anne-Laure Mestrallet
« Le sujet est d’une particulière actualité : les scandales médiatiques liés aux écrits ou propos d’un personnage public ou politique donnent fréquemment lieu à un débat sur l’opportunité d’une sanction pénale, présentée, selon les points de vue, comme une atteinte à la liberté d’expression ou comme une protection indispensable. Cette recherche d’équilibre entre la préservation d’un droit fondamental dans un régime démocratique et libéral, et la nécessité d’en encadrer l’exercice pour en prévenir les débordements, interroge la place que doit occuper le droit pénal en la matière. L’auteur y répond de manière engagée et convaincante. Si le droit pénal demeure la norme protectrice de référence, les évolutions législatives puis jurisprudentielles ne sont pas épargnées par la dimension potentiellement morale qui imprègne la matière, rendant finalement la norme imprévisible. Il soutient le maintien d’un droit de la liberté d’expression au moyen d’un rééquilibrage de la matière pour l’adapter aux évolutions tant techniques que culturelles. La thèse propose également une brillante analyse de l’évolution jurisprudentielle illustrant les enjeux auxquels sont confrontés la CEDH et les juridictions pénales nationales grâce à un travail de mise en perspective riche et néanmoins accessible ».